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Catalogue de l'exposition Despatin/Gobeli

à l'Espace Photographique de Paris du 7 sept au 10 oct 1993.

 

Préface Préface de Jean-Charles Jambon.

Textes de Paul Fournel.

 

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Préface de Jean-Charles Jambon.

Despatin/Gobeli se sont donné le corps pour objet de travail. Poursuivant une exploration commencée il y a longtemps, ils ont, ici, jeté leur dévolu sur des sportifs dits de haut niveau. Loin d'eux cependant l'idée de saisir, de capter l'exploit, de rendre compte des performances, puisqu'ils opèrent à l'aide d'une chambre photographique qui nécessite de longs temps de pose. Ils ont ainsi choisi de fixer de jeunes hommes et jeunes femmes, juste après l'effort, sur les lieux mêmes de leur difficile entraînement, dont nous ne verrons rien. Despatin/Gobeli ont des objectifs, simples et ambitieux, qui font s'interpénétrer les domaines de la sociologie et de l'esthétique, du document et de l'image photographique. Du document je ne dirai rien. Je me contenterai de traquer ce que l'image montre et dissimule, sachant que mon intention fut d'emblée retenue et marquée par les corps et les regards des athlètes. Ces corps, couverts ou dénudés, demeureront pour la plupart d'entre nous ceux d'anonymes et à ce titre interchangeables. On les devine beaux dans leur forme puisque travaillés, jour après jour; ruisselant encore pour certains d'eau ou de sueur.

La nécessité de la pose photographique les a figés à l'écart des lieux de lutte, des vibrations du monde qu'ils ont à affronter. Pris en pied, le plus souvent en lumière naturelle, ils doivent faire front aux photographes qui leur ont intimé l'ordre de fixer le regard sur l'objectif, de laisser apparaître leurs mains, de suspendre un court instant le souffle si nécessaire à l'effort.

Ce qui se dévoile alors, ce qui touche, plus encore que les corps, c'est l'énigme portée par les regards. Acteurs de ce qu'on appelle communément le spectacle du monde, l'athlète, plus que tout autre, est un être regardé. La photographie, brusquement, lui fait jouer un autre rôle. A son tour il nous dévisage, il nous livre un regard dans toute sa nudité, dans son étrange et parfois inquiétante solitude.Etrange solitude, ainsi posée, déposée devant nous pour mieux nous interpeller. Ces regards, las, manifestent pourtant d'autres présences. D'un côté, il y a les photographes, eux-mêmes pris dans la pose, confinés comme leurs modèles dans l'immobilisme. De 1'autre , il y a les spectateurs , plus que jamais mobiles, qui vont et viennent d'une page, d'un cadre, d'une image à l'autre. Puis, à leur tour, ils finissent par s'abandonner à la pose, à voir les corps, à saisir les regards. Ils sont pris dans ces doubles rets qui génèrent le trouble et ]pour certains la honte, surpris qu'ils sont d'être vus ou imaginés vus regardant.

Nous sommes, c'est ce que nous montrent avec insistance Despatin/Gobeli, quelques soient les lieux où ils opèrent, nous sommes des êtres regardés.

Or, cette présence d'autrui manifestée par le regard ne peut, pour certains auteurs, être dissociée de la fonction qu'il faut bien nommer désir. Désir qu'il ne s'agit pas de dénier mais d' admettre et de repenser dans sa «polyvocité ».

De la photographie et du désir nous ferions volontiers un leitmotiv, une ritournelle, alors que nous viennent à l'esprit ces quelques mots de Paul Fort : « Le bonheur est dans le pré cours-y vite, cours-y vite, le bonheur est dans le pré, cours-y vite, il va filer ».

Jean-Charles Jambon.

 

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Textes de Paul Fournel.

 La mobilité est la première revendication de l'homme, la seule qui soit intra-utérine. Les droits de courir, sauter et donner du poing sont imprescriptibles et, ceci dès avant l'école maternelle et pour toujours jusqu' au-delà de l'arthrose. Là où la liberté se complique, c'est lorsque l'homme veut courir plus vite, sauter plus haut et vous taper dessus. Avez-vous bien réfléchi à ce que c'est que d'avoir en face de vous un homme dont le seul projet est d'utiliser sa force énorme à vous frapper ? Un homme qui ne pense qu'à ça... Moi, je serre- dents.

Se raser c'est déjà courir. Pendant que le rasoir glisse à longues rues rectilignes le long de la jambe, c'est déjà la route qui défile et ce sont les adversaires qui se dispersent en petits points noirs dans le tourbillon de l'évier. Se raser, c'est faire le point sur l'outil de tavail. La cuisse, un instant disparue sous la mousse, réapparaît lisse et dure. Plus la distance est fine entre la lame et le muscle, plus le professionnel est proche de sa forme. Pendant les premiers kilomètres il aurra froid, puis il rentrera dans l'air à la perfection et le massage lui sera une caresse. Et les jambes seront si belle. Par respect, les touristes s'abstiennent et vont velus.

Celui qui ne se confie pas au chronomètre se confie aux juges. Il doit atteindre une perfection convenue, souvent médiocre, pour laquelle il doit contraindre son corps davantage. Les beaux gestes sportifs sont plus souvent dans la performance que dans les figures imposées. Le beau geste du plongeur de haut vol est celui de ses deux poings tendus fermés qui ouvrent le mur de l'eau pour protéger son crâne, ses méninges, son cerveau et garder à son œil rapace une clarté exempte de tout crétinisme.

 

Etre en forme c'est avoir la forme de son sport. Le basketteur est un peu grand et la gymnaste un peu courte tant qu'on la tient de force dans l'enfance du corps. L'hiver se termine, les compétitions vont commencer. Lorsqu'il se regarde dans la glace après l'entraînement, encore essoufflé, l'athlète est nu comme un ver. Sous la peau, le trajet des veines et le muscle sec. Il se demande par quelle fibre cela va lâcher. Dès le lendemain, il se zèbre de sparadraps rituels qui désignent aux adversaires ses faiblesses.

Contrairement à la drogue, le dopage n'est pas une aventure individuelle. Il est l'explication de la force de l'autre. L'athlète est prêt. Il a consenti les plus gros efforts, levé les plus grosses charges. Sa tête est claire et il va au bout de ses forces. Il est l'absolue perfection du geste et de l'intention. Il est à l'extrême limite d'être plus fort que lui même. Là, un Bulgare arrache 10 kilos de mieux. Ces 10 kilos sont au choix: l'humiliation, la dépression nerveuse, la mort ou bien le dopage. Au choix.

S'habiller pour le sport est un rituel patient qui ne laisse plus rien au hasard. Il y a peu de temps encore, le même survêtement courait, sautait et lançait aussi bien. Au jourd'hui, chacun y va de son armure et de son lycra. Chacun y va de sa chaussure. Celle du pistard est même attachée à la pédale et il faut désormais trouver vélo à son pied. Il y a également de la magie: le maillot du gardien de but a des couleurs et des rayures qui vibrent pour troubler l'avant centre, le tireur s'habille en borgne et ne cache rien d'autre que son œil inutile. Plus de tenue broussaille, plus de tenue léopard: il ne chasse que lui même. C'est pourquoi son costume a parfois des allures de cible.

 

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