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"PAS DE DEUX"

 

Etymologiquement, le mot "portrait" vient de "pourtraire", de par "trahere", autrement dit: tirer en avant. Il y a donc deux fois le mot "tirer" dans "se faire tirer le portrait". Non content de prendre l'expression au mot, Despatin et Gobeli la prennent au pied de la lettre. Les Français qui se font portraiturer par eux se font à proprement parler tirer le portrait par les pieds. Dans leurs petits souliers, harnachés de pied en cap, parés pour la parade, juchés sur la petite estrade qui les montent en épingle, ils défilent au pas. Impeccables et guindés, l'air emprunté, au garde–à-vous, debouts, face à l'appareil. C'est la chaussure qui résume, plante et définit l'individu verni par les attributs de la représentation sociale et que Despatin et Gobeli passent en revue, non de la tête aux pieds mais des pieds à la tête. Mocassins, escarpins, godillots, bottes, espadrilles, chaussons, bottines, palmes. La chaussure et l'image du costume qui, tel un emblème protecteur, cerne, différencie et sanctionne l'individu sous le masque social. D'où la petite estrade, ce piedestal uniforme, identique pour tous, emmené partout, qui célèbre sans distinction le statut que confère la fonction hiérarchique de chacun. Le cadre de vie étant ici celui du travail, hormis leurs habits, qu'est-ce-qui différencie le poinçonneur des Lilas (3 étoiles au kepi), l'institutrice, le boucher au gant de crin, l'employé de bureau ou le policier dont la face hilare rappelle celle de Gérard Jugnot? Leur personnalité propre n'émerge plus que par le maintien, le port de la tête ou des mains, l'expression du visage. Faussement naturel, anti-conventionnels et anti-conformistes, ces portraits, sérieux et comiques, dont il est même permis de rire, rendent pourtant hommage à la profession des sujets qui, telles des acteurs acceptent de jouer le jeux. Evoquant avec une ironie percutante la cérémonie du portrait à laquelle se livraient autrefois les photographes en studio, Despatin et Gobeli font vaciller l'apparente certitude des faux-semblants et tentent de percevoir le caractère et la vérité de la personne. Cruels, féroces et sans merci, il serait faux de croire qu'en déstabilisant leurs modèles,Despatin et Gobeli se payent leur tête. Nés tous deux en 1949, travaillant en duo depuis 1969 sans qu'il soit aisé de déterminer exactement l'apport de chacun, ils ont su mettre sur pied une technique d'approche limpide, lucide, et sans complaisance qui, dans le genre si galvaudé du portrait, place leurs images, populaires et pleines d'humour, dans un créneau original entre Sander et Doisneau. Il y avait déjà Bouvard et Pécuchet, Laurel et Hardy, Quick et Flupke ou les frères Taviani, il y a désormais Despatin et Gobeli.

Patrick ROEGIERS

François  Despatin et Christian Gobeli/ Les portraits des français/Dans le cadre de la mission photographique de la DATAR.

Article paru dans "Révolution" n°267 12 au 18 avril 1985.

 
 

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