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Portraits de groupes
Despatin/Gobeli, photographes
poème de métro (aller)
Je prends le métro au plus près de chez moi, JUSSIEU, pour aller
rendre à Despatin et à Gobeli la monnaie de leur pièce.
Ils m’ont tiré le portrait, la semaine dernière, et accepté
le boomerang.
J’ai l’impression que je ne dois pas écrire Despatin et
(ou même &) Gobeli. Je me tape sur les doigts, j’ai écrit
“ Gobelins ”.
Je descends à la prochaine, pour aller rue Ricaud où sont aussi
Échard et Akkitham.
phrases
Comment prévoir ? c’est un rez-de-chaussée et, ce 20 décembre
(2001) la fenêtre est grande ouverte.
Despatin est pieds nus en décembre sur le dallage en carreaux de faïence,
Gobeli en escarpins.
Nous sommes chez Despatin, un atelier, avec des traces de son fils (dessins
d’enfant).
Puisque les duettistes ont installé une caméra numérique
destinée à me filmer découvrant les portraits qu’ils
ont tiré de moi, je joue à me découvrir.
Maintenant, c’est leur tour.
phrase
Puisqu’il faut que sur-le-champ je compose la pose, conscient qu’il
est peut-être abusif de décider qu’un groupe commence à
deux et ayant plus ou moins clairement prévu de me justifier en excipant
du fait que derrière les deux photographes qui font équipe se
profilent simultanément des milliers de silhouettes, les sujets humains
de leurs innombrables portraits, je n’ai pas de difficulté à
embaucher le contrôleur de la SNCF en tirage couleur un peu plus grand
que nature (50 cm de plus que Gobeli debout les bras croisés à
sa droite) pris sur le petit socle gris pentu vers l’objectif, sur fond
de papier peint miteux de la gare de Bourges, le carnet coincé sous
l’aisselle, le composteur à tickets bleu compteur, le visage
rougeaud, duquel, je l’apprends, la hiérarchie de la société
nationale eut de la peine à accepter l’image rébarbative,
comique, satirique peut-être ?, tandis que Despatin aux pieds nus sur
le barreau métallique de son tabouret puis le pied droit sous la cuisse
gauche, mieux rasé que Gobeli, les mains croisées, me demande
si l’immobilité m’est nécessaire comme elle l’est
pour eux (non, non, dis-je, pas besoin), et tandis que bientôt je ne
vois plus, de la scène, que le manche à balai bien réel
posé contre le contrôleur, comme si, pour s’être
montré de façon durable aussi banalement lui-même, il
allait être rétrogradé de ses trois étoiles et
condamné à une corvée de nettoyage de la gare –
et de l’atelier tout autant – blessés qu’ils sont
en outre, lui dans son amour propre et la photo dans sa perfection exposable
: une plaie bleu Klein au côté droit ayant pissé bleu
moins Klein sur le sol, suite à un cas malheureux genre dégât
des eaux dans un lieu de stockage.
phrases
Puisque je voulais voler aux photographes leur travail, je me vois obligé
de décliner leur proposition vague de faire un cliché (avec
un appareil à eux ?) de leur pose.
J’apprends incidemment qu’ils ont chacun une famille, comme les
haute-contre.
Projecteurs, agrandisseurs, boîte à grains, fouillis d’atelier,
liste.
À chacun ses lunettes et ses bleu marine, mais Despatin seul a du rouge
aux poignets d’un sous-pull.
poème de métro (retour)
Le calembour avec les patins m’énerve comme un air dont on ne
peut se séparer
ainsi que des variations du genre Despato, Gibelins et gobe lune.
Je suis assez exalté par cette petite heure qui a été
un moment de travail en commun pas mal intense
et détendu
avec le sentiment qu’une espèce de boucle se boucle.
Jacques Jouet
Cantate
de proximité - Scène
et portraits de groupes
Editions P.O.L
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