Catalogue Portraits, singulier pluriel1980 - 1990le photographe et son modèleHazan/Bibliothèque nationale de France
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BNF exposition virtuelle Face à Face
Despatin et Gobeli
Saisir la présence du personnage
Comment définir le portrait ?
Nous ne le savons pas. Il sagit là de tout lobjet de notre recherche. Cest sans idées préconçues et empiriquement que nous nous essayons aux diverses manières de laborder.
Notre travail présent se fait à la chambre (de format 9 x 12 cm, 13 x 18 cm ou 20 x 25 cm), bien que nous nayons pas toujours uvré de la sorte. Nous avons le goût de la belle lumière, et le grand format autorise une certaine qualité dimages. Pour le modèle par ailleurs, cest loccasion dun moment privilégié ; Ce type de prise de vue dote limage dun surcroît de valeur, au double sens esthétique et psychologique : le modèle ne peut pas prendre cette photographie à la légère.
Le fait dêtre deux en facilite le maniement ; pendant que lun est derrière le dépoli sous le voile noir, lautre place ou déplace les objets, et sert de " doublure modèle ", autorisant ainsi la personne photographiée à vaquer à ses occupations (comme nous restons au minimum une heure chez nos modèles, cette méthode se révèle très utile). Nous commençons par choisir le décor, puis faisons le cadre. Une bonne image, selon nous, est une image dans laquelle le décor nempiète pas sur le modèle, et réciproquement. Les réglages effectués, nous plaçons le modèle exactement sur un repère préalablement déterminé et matérialisé au sol. De même que nous lui ôtons tout objet auquel il saccroche pour se dissimuler : pipe, stylo pour les littéraires, outils divers pour les manuels, canne à pêche, raquette, autres accessoires pour les sportifs, etc. ; nous lui demandons de montrer ses mains : contrainte perturbatrice. En fait nous chassons " lair naturel ", lune des deux préoccupations majeures des personnes photographiées, lautre étant d" être ou ne pas être photogénique ". Pour lessentiel, nous privilégions la photographie de pied, mais au fil du temps la méthode sest élargie pour une même pose, au plan américain et au gros plan de la tête, à la manière dun zoom avant en cinéma. Pendant la prise de vue, nous demandons aux modèles de fixer lobjectif et de ne pas bouger, les temps de poses allant de la demi-seconde à cinq secondes. Voilà lensemble des contraintes que nous imposons de façon à ce que la photographie soit un constat, un état des lieux plutôt quun portrait au sens strict. Nous ne cherchons pas à fouiller la psychologie, la personnalité de nos modèles. Le seul intérêt réside dans lacuité avec laquelle nous avons pu saisir la présence du personnage dans nos images ; et tous ces protocoles ont pour ambition cette seule recherche et nous aident à minimiser la gêne quun photographe peut connaître face au modèle. Dans le cas de la série des sportifs de haut niveau, aux règles susdites sest ajouté, contrainte supplémentaire, le fait que nous les avons photographiés sur leur lieu dentraînement après un effort particulièrement important.
La série est une caractéristique de notre travail. Nous avons actuellement une dizaine de séries en cours. Elles sont ouvertes par principe à un nombre illimité et sétalent sur plusieurs années, en fonction des opportunités. La multiplication de celles-ci évite la lassitude et le propos réduit. Faisant suite à notre travail le plus long et le plus accaparant, celui de la DATAR, nous avons photographié en 1985 la statuaire à la Comédie-Française : buste de Rachel, Samson, Molière et, précisément, nous étions heureux, ragaillardis, dentamer un travail nouveau entre la photographie darchitecture, la photographie de sculpture et le portrait. Le fait que toutes ou presque sont des commandes Despatin et Gobeli permet un discours photographique en dehors de toute contrainte de mode, de politique et dargent. La photographie pure, lhistoire que Despatin et Gobeli se racontent depuis 1969, leur mémoire commune.
Dans notre dernière série, intitulée : Nu sur socle, yeux ouverts, yeux fermés, nous ajoutons un socle aux procédures de mises en scène décrites plus haut (ce socle est repris dune série en couleur sur la parure, menée en 1984 pour la mission photographique de la DATAR, parallèlement au portrait de Français). Le modèle est juché nu sur ce piédestal dans une position de déhanchement due à la pente du socle. Nous avons fait en sorte que le spectateur ne puisse pas voir sur quoi repose le socle, qui paraît en lévitation, au point que le modèle donne l'impression d'avoir été découpé sur une autre image pour être ensuite posé dans son environnement naturel. Cela l'isole totalement du cadre et le pose comme objet. L'important en fait, c'est son enveloppe charnelle le reste nest que littérature et relève du sentimental. Ni portrait psychologique, ni photographie humaniste : un simple constat clinique de nos patients modèles. Ce nest pas par hasard si tout le cérémonial est similaire à celui dune radiographie : nudité, appareillage (socle), injonction (" Ne bougez plus ! "), châssis et plans film du même type que ceux utilisés dans le milieu médical. Nous posons vraiment le corps dans sa plus simple expression. Celle qui consiste à le constater, le voir tel quil est, non pas le nier en le sublimant, en lidéalisant, comme le font la plupart des nus photographiques (ce que nous ne critiquons pas). Nos modèles ne sont pas des professionnels et nous ne mentons pas sur eux ; ils sont mis en position de ne pas mentir à eux-mêmes et aux autres. Nous utilisons une chambre 20 x 25 cm et nemportons quun seul châssis, nous limitant ainsi à deux images. Le choix du cadre est ici primordial et nous navons pas droit à lerreur : nous nous sommes donnés comme règle de ne pas recommencer une prise de vue ratée ou peu convaincante à notre regard. Cette procédure extrêmement contraignante permet de limiter nos hésitations ; La prise de vue se décompose en une demi-heure à trois quarts dheure dinstallation, et en trois minutes de prise de vue. La vue est frontale, les bras le long du corps, sans effet. Nous introduisons une seule variante de la pose : lorsquil sagit de femmes enceintes, nous les plaçons légèrement de biais pour rendre leur grossesse plus visible. Il arrive assez fréquemment que des femmes demandent à être photographiées justement quand elles sont enceintes.
Il est certain que notre travail fait apparaître des types, par-delà la diversité, et que le type " populaire " est majoritairement représenté. Nous photographions des générations. Ainsi, nous avons photographié les gens des années 1980, aujourdhui ce sont ceux des années 1990. Ce qui nous incite à sans cesse reconduire notre travail de portraitistes, alors que nous avons déjà effectué des milliers dimages au cours de milliers de rencontres avec des modèles, cest le désir et le plaisir den faire, encore et toujours. Est-ce par insatisfaction, comme si lon cherchait à réaliser le portrait qui enfin nous délivrerait de cette tâche inachevée ? Ou bien, pour être plus sévères avec nous-mêmes, est-ce que le système des protocoles est à ce point contraignant que, finalement, nous ne photographions plus que des mannequins, et non des êtres humains, comme si par conséquent tous ces portraits nétaient que le résultat dactes automatiques ?
Si nous nous posons ces sempiternelles questions " métaphysiques ", là encore nous napportons pas de réponse. Cette zone dombre est le lot de tout être humain.
Despatin et Gobeli, avril 1997.
Extrait du catalogue Portraits, singulier pluriel1980 - 1990le photographe et son modèleHazan/Bibliothèque nationale de France