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Préface de Jean-Charles Jambon.
Despatin/Gobeli se sont donné le corps
pour objet de travail.
Poursuivant une exploration commencée
il y a longtemps, ils ont, ici, jeté leur dévolu sur des sportifs
dits de haut niveau.
Loin d'eux cependant l'idée de saisir,
de capter l'exploit, de rendre compte des performances, puisqu'ils opèrent
à l'aide d'une chambre photographique qui nécessite de longs
temps de pose. Ils ont ainsi choisi de fixer de jeunes hommes et jeunes femmes,
juste après l'effort, sur les lieux mêmes de leur difficile entraînement,
dont nous ne verrons rien.
Despatin/Gobeli ont des objectifs, simples
et ambitieux, qui font s'interpénétrer les domaines de la sociologie
et de l'esthétique, du document et de l'image photographique.
Du document je ne dirai rien. Je me contenterai
de traquer ce que l'image montre et dissimule, sachant que mon intention fut
d'emblée retenue et marquée par les corps et les regards des
athlètes.
Ces corps, couverts ou dénudés,
demeureront pour la plupart d'entre nous ceux d'anonymes et à ce titre
interchangeables. On les devine beaux dans leur forme puisque travaillés,
jour après jour; ruisselant encore pour certains d'eau ou de sueur.
La nécessité de la pose photographique
les a figés à l'écart des lieux de lutte, des vibrations
du monde qu'ils ont à affronter. Pris en pied, le plus souvent en lumière
naturelle, ils doivent faire front aux photographes qui leur ont intimé
l'ordre de fixer le regard sur l'objectif, de laisser apparaître leurs
mains, de suspendre un court instant le souffle si nécessaire à
l'effort.
Ce qui se dévoile alors, ce qui touche,
plus encore que les corps, c'est l'énigme portée par les regards.
Acteurs de ce qu'on appelle communément le spectacle du monde, l'athlète,
plus que tout autre, est un être regardé. La photographie, brusquement,
lui fait jouer un autre rôle. A son tour il nous dévisage, il
nous livre un regard dans toute sa nudité, dans son étrange
et parfois inquiétante solitude.Etrange solitude, ainsi posée,
déposée devant nous pour mieux nous interpeller. Ces regards,
las, manifestent pourtant d'autres présences. D'un côté,
il y a les photographes, eux-mêmes pris dans la pose, confinés
comme leurs modèles dans l'immobilisme. De 1'autre , il y a les spectateurs
, plus que jamais mobiles, qui vont et viennent d'une page, d'un cadre, d'une
image à l'autre. Puis, à leur tour, ils finissent par s'abandonner
à la pose, à voir les corps, à saisir les regards. Ils
sont pris dans ces doubles rets qui génèrent le trouble et ]pour
certains la honte, surpris qu'ils sont d'être vus ou imaginés
vus regardant.
Nous sommes, c'est ce que nous montrent
avec insistance Despatin/Gobeli, quelques soient les lieux où ils opèrent,
nous sommes des êtres regardés.
Or, cette présence d'autrui manifestée
par le regard ne peut, pour certains auteurs, être dissociée
de la fonction qu'il faut bien nommer désir. Désir qu'il ne
s'agit pas de dénier mais d' admettre et de repenser dans sa «polyvocité
».
De la photographie et du désir nous
ferions volontiers un leitmotiv, une ritournelle, alors que nous viennent
à l'esprit ces quelques mots de Paul Fort : « Le bonheur est
dans le pré cours-y vite, cours-y vite, le bonheur est dans le pré,
cours-y vite, il va filer ».
Jean-Charles Jambon.
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La mobilité est la première revendication de l'homme, la seule qui soit intra-utérine. Les droits de courir, sauter et donner du poing sont imprescriptibles et, ceci dès avant l'école maternelle et pour toujours jusqu' au-delà de l'arthrose. Là où la liberté se complique, c'est lorsque l'homme veut courir plus vite, sauter plus haut et vous taper dessus. Avez-vous bien réfléchi à ce que c'est que d'avoir en face de vous un homme dont le seul projet est d'utiliser sa force énorme à vous frapper ? Un homme qui ne pense qu'à ça... Moi, je serre- dents.
Se raser c'est déjà courir. Pendant que le rasoir glisse à longues rues rectilignes le long de la jambe, c'est déjà la route qui défile et ce sont les adversaires qui se dispersent en petits points noirs dans le tourbillon de l'évier. Se raser, c'est faire le point sur l'outil de tavail. La cuisse, un instant disparue sous la mousse, réapparaît lisse et dure. Plus la distance est fine entre la lame et le muscle, plus le professionnel est proche de sa forme. Pendant les premiers kilomètres il aurra froid, puis il rentrera dans l'air à la perfection et le massage lui sera une caresse. Et les jambes seront si belle. Par respect, les touristes s'abstiennent et vont velus.
Celui
qui ne se confie pas au chronomètre se confie aux juges. Il doit atteindre
une perfection convenue, souvent médiocre, pour laquelle il doit contraindre
son corps davantage. Les beaux gestes sportifs sont plus souvent dans la performance
que dans les figures imposées. Le beau geste du plongeur de haut vol
est celui de ses deux poings tendus fermés qui ouvrent le mur de l'eau
pour protéger son crâne, ses méninges, son
cerveau et garder à son il rapace une clarté exempte de
tout crétinisme.
Etre
en forme c'est avoir la forme de son sport. Le basketteur est un peu grand
et la gymnaste un peu courte tant qu'on la tient de force dans l'enfance du
corps. L'hiver se termine, les compétitions vont commencer. Lorsqu'il
se regarde dans la glace après l'entraînement, encore essoufflé,
l'athlète est nu comme un ver. Sous la peau, le trajet des veines et
le muscle sec. Il se demande par quelle fibre cela va lâcher. Dès
le lendemain, il se zèbre de
sparadraps rituels qui désignent aux adversaires ses faiblesses.
Contrairement à la drogue, le dopage n'est pas une aventure individuelle.
Il est l'explication de la force de l'autre. L'athlète est prêt.
Il a consenti les plus gros efforts, levé les plus grosses charges.
Sa tête est claire et il va au bout de ses forces. Il est l'absolue
perfection du geste et de l'intention. Il est à l'extrême limite
d'être plus fort que lui même. Là, un Bulgare arrache 10
kilos de mieux. Ces 10 kilos sont au choix: l'humiliation, la dépression
nerveuse, la mort ou bien le dopage. Au choix.
S'habiller
pour le sport est un rituel patient qui ne laisse plus rien au hasard. Il
y a peu de temps encore, le même survêtement courait, sautait
et lançait aussi bien. Au jourd'hui, chacun y va de son armure et de
son lycra. Chacun y va de sa chaussure. Celle du pistard est même attachée
à la pédale et il faut désormais trouver vélo
à son pied. Il y a également de la magie: le maillot du gardien
de but a des couleurs et des rayures qui vibrent pour troubler l'avant centre,
le tireur s'habille en borgne et ne cache rien d'autre que son il inutile.
Plus de tenue broussaille, plus de tenue léopard: il ne chasse que
lui même. C'est pourquoi son costume a parfois des allures de cible.
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